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Le GPS vous corrige avant que vous ne vous trompiez. Le correcteur polit vos phrases. L’assistant de code devine vos intentions. Tout devient plus facile, plus rapide, plus fluide. Mais dans ce glissement vers le confort absolu, quelque chose d’invisible se produit : nous cessons peu à peu de penser par nous-mêmes.

Le philosophe Bernard Stiegler avait un mot pour cela : la prolétarisation des savoirs. Là où jadis l’ouvrier perdait son savoir-faire face à la machine, nous perdons aujourd’hui notre capacité à réfléchir, décider, créer. D’abord, les usines ont dépossédé la main. Puis, les industries culturelles ont standardisé nos modes de vie. Maintenant, l’intelligence artificielle prolétarise la pensée elle-même.

Ce processus ne s’est pas fait en un jour. Il s’est déroulé en trois vagues :

– La main : l’artisan devient prolétaire, le geste se vide de son intelligence
– La vie : le consommateur absorbe des symboles qu’il ne crée plus
– La pensée : le concepteur délègue son jugement à la machine

Aujourd’hui, avec l’IA générative, nous franchissons un nouveau seuil. Penser devient un service payant. La créativité, une option premium. Et le capitalisme de surveillance, qui capte déjà nos données et prédit nos comportements, s’apprête à monétiser jusqu’à nos idées.

Mais rien n’est inéluctable. Stiegler ne prêchait ni le rejet de la technique, ni la nostalgie du passé. Il nous invitait à comprendre que la technologie est un pharmakon : à la fois poison et remède. Tout dépend de la manière dont nous l’habitons.

Alors, que faire ? Reprendre le contrôle de notre attention. Réorienter les outils vers la contribution plutôt que la consommation. Faire de la technique un prolongement de l’intelligence humaine, et non son substitut. Le choix n’appartient pas aux machines. Il dépend du soin que nous porterons à notre propre pensée.

C’est le feu de Prométhée : non plus la flamme volée, mais la lumière préservée.

OPINION

Et si, à force de confier nos efforts à la machine, nous étions en train de désapprendre à penser ?

Autrefois, il fallait se perdre pour apprendre à s’orienter. Aujourd’hui, une voix synthétique nous guide pas à pas, et notre esprit s’endort doucement. Nous déléguons tout : la mémoire au cloud, la logique à l’algorithme, la décision à la recommandation. C’est confortable, fluide, presque magique. Mais ce confort a un prix : celui de la lente atrophie de l’effort intellectuel.

Nous appelons cela le progrès. Pourtant, derrière cette promesse d’efficacité se cache une dérive silencieuse : la paresse cognitive. Ce glissement insensible par lequel nous cessons de raisonner, douter, chercher, pour simplement valider ce qu’une machine nous propose.

Cet article explore ce phénomène, non pour accuser la technologie, mais pour interroger ce qu’elle fait de nous : des êtres toujours plus assistés, parfois brillants en apparence, mais de moins en moins présents à leur propre pensée.

Et si, à l’ère de l’assistance généralisée, penser devenait notre dernier acte de liberté ?

OPINION

Il fut un temps où l’on disait : « les Américains inventent, les Chinois copient, les Européens réglementent ». Aujourd’hui, les États-Unis dominent l’IA, la Chine fabrique les produits les plus avancés… et l’Europe regarde le train passer en débattant pour savoir si ChatGPT devrait dire “bonjour” en inclusif.

L’Europe est en train de perdre, sans bruit, la course mondiale à l’intelligence artificielle et à l’innovation. Les États-Unis inventent, financent et dominent : plus de 100 milliards de dollars investis dans l’IA en 2024, contre moins de 10 milliards pour la Chine et quelques miettes pour l’Europe. La Chine, elle, ne copie plus : elle contrôle désormais la production mondiale de robots, de batteries et de semi-conducteurs.

Pendant ce temps, l’Union européenne perfectionne son arsenal réglementaire, sans stratégie industrielle ni vision commune. La France aime se rêver en village gaulois : Mistral AI brille, Paris attire, mais 56 % des capitaux français s’exilent aux États-Unis, et les talents suivent.

Résultat : un continent qui réglemente ce qu’il ne produit plus, dépendant des clouds américains et des chaînes d’approvisionnement asiatiques. A n’y prendre garde, le risque est devenir définitivement une colonie numérique, simple consommatrice de technologies conçues ailleurs.

L’Europe peut encore réagir, en liant réglementation et stratégie industrielle, en investissant massivement, en unifiant ses marchés. Mais le train de l’innovation n’attendra pas ceux qui restent sur le quai à débattre de la couleur des wagons.

OPINION

Voici le troisième et dernier volet de ma saga sur la confidentialité de nos données. Après avoir exploré nos propres renoncements et l’illusion de la transparence volontaire, il est temps de poser la question la plus dérangeante de toutes :

Que laissons-nous à nos enfants ? Non pas en héritage matériel, mais en héritage de regard.

Car ils naissent dans un monde où l’intime s’efface avant même d’avoir existé, où la surveillance se pare des habits du jeu, où la liberté se confond avec la connexion permanente. Ce qui fut pour nous une perte est pour eux une évidence. Là où nous voyons une atteinte à la vie privée, ils voient simplement la vie.

Cet article interroge ce glissement silencieux : comment transmettre la liberté intérieure à une génération qui n’a jamais connu le secret ? Comment enseigner la profondeur à ceux qu’on a habitués à l’exposition ? Et surtout, que restera-t-il de la liberté, si nous oublions de la leur apprendre ?

OPINION

📌 Billet d’humeur du vendredi reporté au mercredi du fait de l’actualité 📌

Un Premier ministre qui tombe, un président qui vacille, et un pays qui continue de s’endetter comme si la facture n’arriverait jamais.

On nous parle de milliards, de réformes et de « nouveau monde », mais derrière les discours, ce sont toujours les mêmes qui tiennent la maison debout : médecins, ingénieurs, profs, artisans, paysans. Les fourmis.

Pendant ce temps, le pouvoir se déguise en paon, brillant de toutes ses plumes, incapable de voler.

La politique est devenue un spectacle, l’État un influenceur, et nous des spectateurs éblouis par des hashtags.

Et si le vrai danger n’était pas l’échec d’un homme, mais l’effacement silencieux de ceux qui construisent encore ?

Ce billet d’humeur prolonge une réflexion commencée dans un autre texte, « Les fourmis s’effacent ».

BILLET D'HUMEUR