Depuis 2022, la France a connu pas moins de cinq Premiers ministres. Non pas par goût de la diversité, mais par stricte application du principe d’obsolescence programmée. Dans ce pays, un chef de gouvernement dure moins longtemps qu’un yaourt au bifidus, mais un peu plus qu’une réforme des retraites.
Élisabeth Borne a eu droit au marathon des 49.3, Gabriel Attal à la course contre l’inflation, Michel Barnier au championnat de négociation avec lui-même, François Bayrou au concours de patience (épreuve échouée dès la première minute), et Sébastien Lecornu au stage commando pour apprendre à survivre à l’Assemblée nationale sans armure ni bouclier anti-émeute.
Cette valse politique n’est pas un hasard : elle obéit à une équation démontrée par le théorème de l’instabilité hexagonale :
(Gr + R² + I³) ÷ (Pop – 49.3) = Durée du mandat (en jours)
où Gr désigne le nombre de grèves, R² le carré des réformes avortées, I³ l’inflation au cube, et Pop la popularité du gouvernement, généralement négative.
La sélection, pourtant, obéit à des règles d’une rigueur scientifique incontestable. Le théorème du ministre isocèle stipule que tout candidat doit avoir un courage proportionnel à son patriotisme, sous peine de devenir trapézoïdal, ce qui nuit à la photo officielle. La formule de l’équilibre électoral différentiel s’écrit ainsi :
(E² + C³ + P !) ÷ (L + Pop²) = Eloq∞ – t
où E = énergie, C = courage, P ! = patriotisme factoriel, L = loyauté approximative, Pop² = popularité au carré, et t = temps maximum avant éviction (variable comprise entre trois semaines et un trimestre scolaire).
L’annonce de recrutement officielle pourrait donc se lire ainsi :
« On demande Premier ministre. CDD de trois mois, éventuellement renouvelable si l’Assemblée nationale s’endort pendant le vote de censure. Examen écrit : dissertation sur “Comment réformer la SNCF sans provoquer une grève ?” (aucun candidat n’a encore eu la moyenne). Examen pratique : convaincre un panier de crabes de marcher en ligne droite. Épreuve sportive : slalomer entre les syndicats en brandissant une réforme fiscale sans finir carbonisé place de la République. Épreuve orale : expliquer aux Français que l’inflation à 4 % est en réalité une excellente nouvelle, surtout pour ceux qui n’ont pas de salaire. »
En cas d’échec, le candidat sera immédiatement recyclé comme consultant en communication stratégique appliquée, c’est-à-dire payé fort cher pour expliquer, avec graphiques PowerPoint et anglicismes superflus, pourquoi son échec retentissant est en réalité une victoire écrasante. Selon le paradoxe du perdant triomphal, plus un projet capote, plus le consultant insiste sur le fait qu’il a “posé les bases d’un avenir radieux”. La logique est imparable : si vous tombez dans un trou, c’est la preuve éclatante que vous êtes déjà en route vers la mine d’or.
Mais si, contre toute attente, plusieurs candidats parviennent à survivre aux épreuves, le choix final reviendra à la méthode infaillible dite de la dactylo du couloir. Le protocole, approuvé par le Conseil supérieur de l’absurde, est le suivant : on présente les prétendants un par un et on demande à la dactylo : « Lequel a la plus belle cravate ? » La réponse, immédiate et définitive, détermine le futur de la Nation. Certains esprits chagrins objectent que ce procédé revient à tirer à pile ou face. C’est faux ! Car pile ou face, c’est du hasard, tandis que la cravate, c’est de l’esthétique. Et comme chacun sait, en politique, mieux vaut un ministre élégant qu’un ministre compétent, puisqu’au moins on ne craint pas pour la photo officielle.
Or, les statisticiens du CNRS (Centre National de la Recherche Satirique) ont récemment démontré, par une équation d’une rigueur irréfutable, que la probabilité d’obtenir un ministre compétent est strictement inférieure à zéro.
La formule, connue sous le nom de loi des compétences négatives, s’écrit ainsi :
P(Mc) = (R – G²) ÷ (49.3 + I³)
où P(Mc) représente la probabilité d’un ministre compétent, R le nombre de réformes annoncées mais jamais appliquées, G² le carré des grèves simultanées, et I³ l’inflation élevée au cube.
Après calcul, on obtient un résultat inférieur à zéro, ce qui démontre scientifiquement que non seulement un ministre compétent n’existe pas, mais que son existence hypothétique annulerait rétroactivement celle de tous ses prédécesseurs depuis la IVe République.
Cette conclusion, qualifiée de “bouleversante” par certains, fut accueillie avec enthousiasme par le corps électoral, puisque, selon un sondage réalisé sur un échantillon représentatif de six retraités et deux chiens, 82 % des Français se disent favorables à la nomination d’un ministre incompétent mais drôle, plutôt qu’un ministre sérieux mais désespérément ennuyeux.
Comme le disait déjà un grand penseur hexagonal (dont le nom m’échappe mais qui avait une moustache) :
« En politique, il vaut mieux rater avec panache que réussir avec discrétion. »