Ah, la transparence. Cette grande vertu moderne qu’on brandit comme un drapeau… en soie opaque. C’est devenu un label, un mantra, un parfum d’ambiance qu’on vaporise à l’entrée des open spaces. Plus une entreprise parle de transparence, plus il faut commencer à se méfier du prestidigitateur derrière le rideau. C’est un peu comme si Bernard Madoff avait préfacé le Guide du management éthique et durable.
Et le clou du spectacle, c’est bien sûr le moment tant attendu du Rapport de transparence annuel.
247 pages. 36 annexes. Un lien planqué sur le site, sous un onglet intitulé “ressources documentaires de conformité éthique et gouvernance intégrée (archive)”.
Et à l’intérieur ? Une véritable orgie de données inutiles : le nombre de vélos pliables dans l’open space, la proportion de collaborateurs fans de Kombucha, la diversité des prénoms au service juridique. Ce qui compte ? Caché quelque part entre la page 178 et l’annexe M, imprimé en police 6, entre deux tableaux croisés dynamiques, comme un œuf de Pâques pour contrôleur de gestion en burn-out.
Mais attention, hein, tout y est. C’est vous qui n’avez pas activé vos chakras de lecture proactive. Car désormais, la transparence, c’est un escape game. On vous fournit les indices, les clés USB, les métadonnées, et c’est à vous de mériter la vérité. On appelle ça “l’autonomisation du lecteur”. Autrefois, on appelait ça “noyer le poisson”. Mais aujourd’hui, c’est dans un PowerPoint au design flat et pastel.
Et puis, vient le grand moment d’émotion, le bouquet final du feu d’artifice RH : l’indice de bonheur collaborateur.
Ah, ce Graal managérial. Ce baromètre du nirvana au bureau. Celui qui, chaque année, nous révèle que tout va formidablement bien dans l’univers enchanté des salariés.
“97,2 % des collaborateurs se disent fiers de porter les valeurs de l’entreprise.”
Les 2,8 % restants ? On les a réorientés vers des “parcours de sens” ou envoyés méditer dans une salle insonorisée entre le baby-foot et le coin yoga.
Le questionnaire, lui, est une œuvre d’art conceptuelle :
- “Estimez-vous œuvrer à une mission transcendante ?”
- “Vous sentez-vous utile à l’évolution du genre humain ?”
- “Préférez-vous être épanoui ou nuisible à la dynamique collective ?”
Et hop, un joli camembert turquoise, une moyenne sur quatre décimales, et un communiqué : “Bien-être en hausse continue.” (Sauf au service compta. Mais eux, on les a fusionnés avec un algorithme.)
Et pour accompagner tout ça, il y a bien sûr le coach d’entreprise. Ce gourou 3.0 qui vous apprend à “désiloter votre mindset” et à “co-construire du sens” en marchant pieds nus sur du gazon synthétique. Il vous parle de résilience organisationnelle avec l’aisance de celui qui n’a jamais rempli un tableau Excel, ni survécu à une réunion de service un lundi matin. Mais attention, il a lu des livres. Et il a ressenti des choses. C’est donc un expert. Il vous explique comment mieux travailler, en particulier s’il n’a jamais vraiment travaillé.
Son truc, c’est la posture. L’alignement intérieur. Et la respiration en triangle. Le reste, c’est du détail pour les petites gens qui s’accrochent encore à des trucs dépassés comme la compétence, la fierté du travail bien fait ou la fiche de poste.
Et le plus beau ? C’est que tout ça est scientifique. Validé. Benchmarqué. Intégrable dans les KPIs. On pourrait presque le coter en bourse, ou le convertir en crypto-monnaie : la BullshitCoin, indexée sur la densité de sourires forcés par mètre carré.
Mais attention, on ne vous ment pas. Non. On vous dit des choses parfaitement vraies… dans un ordre extrêmement stratégique.
La vraie transparence ? Elle tiendrait en une page. Trois lignes. Style dépouillé :
“Cette année, on a viré discrètement, sous-payé avec enthousiasme, pollué modérément, et communiqué intensément. PS : la machine à café du 3e est toujours en PLS.”
Mais évidemment, c’est moins vendeur que :
“Notre culture de l’impact positif s’incarne dans la fécondité émotionnelle de notre écosystème humain.”
Alors en attendant, on continue à vous servir du flou artistique, du storytelling parfumé à la lavande, et des histogrammes zen.
Et si vous ne comprenez pas, ce n’est pas grave. Vous êtes sans doute pas encore assez acculturé. Mais ça viendra. Avec un peu de foi. Et un bon surligneur fluo.
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