Quand la France suffoque, que les bitumes fondent, que les cigales déposent des congés maladie, il reste un homme debout. Enfin… assoupi mais en position verticale. Cet homme, c’est François Bayrou, acteur stratégique de l’inaction républicaine, artisan d’un immobilisme durable, certifié bas-carbone. Un homme qui a su faire du statu quo une discipline olympique, de l’attente un art de vivre, et du néant un modèle de gestion intégrée.
Pendant que le pays réclame une vision, lui offre… une pause café. Une suspension du mouvement, mais sans la poésie. Un ralentissement fondamental, qui frôle le coma civique. Un tempo gouvernemental digne d’un escalator en panne. En clair, on avance à reculons, mais sans s’en rendre compte. C’est du pilotage automatique sans destination, une forme de GPS administratif en boucle, toujours en train de « recalculer l’itinéraire ». Comme une cafetière débranchée qu’on continue de regarder en espérant qu’elle chauffe. Ou comme un ministre en séminaire d’action depuis 1997, mais qui n’a toujours pas trouvé l’interrupteur.
En langage technocratique, on appelle ça une gouvernance à inertie différée avec rétro-pédalage intégré. Ou, pour les intimes de la haute administration, un modèle de résilience contemplative à impulsions retardées, doté d’une interface de consultation participative non-interactive et d’un module de simulation d’action différée. En version premium, ça s’appelle : « leadership à latence variable ». En vrai, c’est rien. Mais un rien calibré, pixelisé, ventilé, imprimé en trois exemplaires sur papier recyclé, puis validé par la Commission interministérielle de Lenteur Harmonisée. Un rien si parfaitement exécuté qu’il a reçu le label ISO 9000 du surplace efficace. Un chef-d’œuvre de flottaison stratégique, estampillé « non-décision conforme aux objectifs de flottaison institutionnelle », avec bonus de points retraite pour performance en inertie aggravée.
Il faut reconnaître à notre Premier ministre une exceptionnelle constance dans la neutralité opératoire. Pas un mot plus haut que l’autre. Pas une idée de travers. Une rectitude exemplaire dans la stagnation. Une verticalité de l’attentisme. Une posture de veille dormante qui confine à l’ascèse. À ce niveau-là, ce n’est plus de la prudence, c’est de la sculpture sur absence.
Il maîtrise l’art du non-agir actif. Chaque silence est calibré, chaque immobilité est un choix stratégique validé par le Haut-Comité d’Évitement des Responsabilités. D’ailleurs, il ne décide plus, il procède à des évaluations de faisabilité du silence décisionnel. Il n’envisage pas, il temporise de manière anticipée. Tout est dans la syntaxe. Rien dans le réel. Mais un rien bien tourné.
On aurait pu croire, dans un éclair de témérité, qu’il se fendrait d’un plan « Canicule 2050 » ou d’un « Grenelle de la transpiration citoyenne ». Mais non. Ce serait trop disruptif. Trop risqué. Une initiative pourrait entraîner… une réaction. Ce serait le chaos. Et puis cela impliquerait de faire quelque chose. Or faire, c’est prendre parti. Et prendre parti, c’est déjà commencer à exister politiquement. Inacceptable.
Alors il applique son plan personnel de sobriété performative : ne pas remuer, ne pas répondre, externaliser le destin national au hasard météorologique et à la clémence du sort. Un détachement si profond qu’il fait passer le lâcher-prise bouddhiste pour une crise de nerfs.
Et là, miracle ! Il a parlé. Ou plutôt, il a laissé échapper une vibration vocale sans intention apparente, une sorte de borborygme diplomatique pré-enregistré. À propos de Boualem Sansal, écrivain emprisonné par le régime algérien, notre Premier ministre a activé son protocole de réaction minimaliste : il « espère ». Oui, espère. Comme on espère qu’il pleuve sur un feu de forêt. Verbe admirable, utilisé ici dans sa version dégraissée, sans contenu, sans effet, sans colonne vertébrale. Un mot-mirage. Un placebo politique. Une simulation d’humanité dans un costume trois-pièces. Bref, un chef-d’œuvre de communication par évaporation cognitive.
C’est beau, l’espérance. C’est très compatible avec le néant. Cela ne coûte rien, ne change rien, et permet d’avoir l’air d’être là, tout en étant ailleurs.
Il ne réclame pas, il n’exige pas, il espère. En termes diplomatiques : il met en place un protocole de souhait non contraignant. Une architecture d’intention floue, sans livrable, ni calendrier, ni exigence d’impact.
Il ne dirige pas, il opère une mise en conformité silencieuse avec les standards de gouvernance contemplative 3.0. Il ne parle pas, il génère des flux discursifs à faible teneur sémantique, validés par l’Agence nationale de brouillard stratégique. Il ne fait pas semblant d’agir, il optimise la latence comme outil de régulation systémique. Il valorise l’invisibilité comme levier d’efficience institutionnelle à basse intensité. Il théorise l’inaction comme matrice régénérative d’équilibre politique durable. Une sorte de yoga de la fonction publique, mais en position allongée, sur un tapis de conférence interministérielle, entre deux siestes de crise.
Tout est flou, mais c’est voulu. Tout est lent, mais méthodique. Tout est absurde, mais labellisé République. Même ses hésitations sont homologuées par le comité de pilotage du silence durable.
Il serait temps qu’il parte. Qu’il se désinstalle. Qu’il opère un retrait opérationnel à fort impact symbolique. À Betharram, pourquoi pas, où il pourra continuer sa mission de lenteur éthique dans un écosystème contrôlé. Peut-être même qu’on pourrait y créer une Chaire de l’Inertie Appliquée, en partenariat avec Sciences Po et la Météo Nationale.
Et si le président Macron pouvait l’accompagner dans cette démarche de reconfiguration des présences exécutives, ce serait parfait. L’occasion d’ouvrir un cycle de transition vers une gouvernance à empreinte minimale, voire totalement virtuelle. Un gouvernement holographique, en somme, où tout se décide ailleurs, et surtout, jamais.
Mais en attendant, citoyennes, citoyens, prenez exemple : restez hydratés, évitez les initiatives, suspendez toute velléité de mouvement ou de pensée structurée. Et si quelqu’un vous demande de faire quelque chose, répondez calmement : « Je suis en phase de pilotage immobile, comme François. »
Car c’est peut-être ça, désormais, notre seule boussole collective : l’attente, l’espérance molle, la gestion thermiquement apaisée du vide. Nous sommes devenus un pays gouverné par des messages d’absence, piloté par délégation à l’air du temps, avec un logiciel national qui tourne en tâche de fond sans plus personne devant l’écran.
Alors la vraie question n’est peut-être pas : « jusqu’à quand Bayrou ? » Mais : « jusqu’à quand ce théâtre d’ombres où tout le monde fait semblant que quelqu’un est encore aux commandes ? » Un opéra bureaucratique sans musique, où les rideaux ne se lèvent plus, où les comédiens n’apprennent plus leur texte, mais où les projecteurs restent allumés, comme pour donner l’illusion que le spectacle continue.
La machine tourne à vide, mais tourne quand même. L’État ressemble de plus en plus à un ordinateur figé sur un écran de veille, affichant un drapeau tricolore en fond d’écran. Pendant ce temps, les citoyens, eux, patientent dans la salle d’attente d’un avenir qu’on leur promet sans jamais leur ouvrir la porte. On recycle les éléments de langage, on ressuscite des sigles morts, on nomme des commissions dont le seul mérite est de ne pas trop déranger.
Ce qui est ubuesque, ce n’est pas que plus rien ne fonctionne, c’est que tout semble conçu pour que surtout rien ne puisse fonctionner. Et pourtant, nous jouons notre rôle, avec discipline : spectateurs fidèles d’une série dont le scénario est perdu depuis la saison 2. Et l’absurde, c’est que plus le vide s’installe, plus on fait semblant d’en tirer du sens.
C’est peut-être ça, le vrai drame français : avoir confondu la stabilité avec l’immobilisme, la continuité avec l’inexistence, et la tempérance avec l’abdication.