L’élégance du ridicule à 350 euros

Après l’IA émotionnelle pour appeler Mamie à ta place ( cf l’article « On n’arrête pas le progrès (mais parfois on ferait bien …) ! » ), je pensais qu’on avait atteint un pic de nonsense. Mais non. La mode est arrivée, unijambiste et sûre d’elle, pour prouver qu’on peut toujours faire mieux. Ou pire.

Et cette fois, ce n’est pas un algorithme qui simule l’affection… mais un pantalon qui simule sa propre complétude.

Il paraît que pour être à la mode, il faut savoir se couper une jambe. Pas au sens figuré, non. Littéralement. Une jambe de pantalon, s’entend. Car oui, en 2025, la dernière trouvaille vestimentaire qui affole TikTok, ce n’est pas une innovation textile, ni une prouesse éthique, ni même une coupe flatteuse. C’est un jean. À une jambe. Vendu 350 euros. (https://paparazzibastia.com/jeans-femme/4242-coperni-jean.html)

Coperni, la maison française qui aime bousculer les codes, vient donc de réinventer la roue… en l’amputant. Résultat ? Une moitié de short qui fricote avec une moitié de pantalon. Le tout taillé dans un denim hautement disruptif, bien entendu, parce que dans ces sphères-là, le mot “absurde” a été remplacé par “visionnaire”.

Mais attention, hein. Ce n’est pas une erreur de fabrication. C’est de l’art, coco. Un pied dans le bootcut, l’autre dans le vide. De quoi marcher à cloche-mode, fier comme un paon bancal. Et selon la marque, je cite, « un seul pantalon pour les deux jambes ». Une phrase qui aurait pu sortir d’une notice IKEA pour jambes asymétriques.

Et il y a eu des ruptures de stock. Si, si.

On rit, on se moque… et pendant ce temps-là, ça vend. Parce que l’humour, dans la mode, c’est un levier commercial redoutable. Il suffit de créer quelque chose de volontairement grotesque, de faire mine de le prendre au sérieux, et d’attendre que les réseaux s’enflamment. Aujourd’hui, un bon mème vaut trois spots Chanel, cinq collaborations Puma, et un article dans Le Monde.

Coperni n’a pas lancé un jean. Elle a lancé un concept : le marketing par le non-sens. Tu n’achètes plus un vêtement, tu achètes un signal. Celui que tu es dans le coup, même si tu boîtes.

Et comme souvent, le génie consiste à emballer le vide avec les codes de l’intelligence. “Audace”, “déconstruction”, “réinvention des normes”… tout un lexique de la transgression créative pour justifier ce que, franchement, Mamie aurait recousu en deux points de surjet.

Mais ne soyons pas mesquins. On peut y voir une belle métaphore de notre époque : incomplète, asymétrique, et fière de l’être. Un monde où l’on vend du moins pour plus, et où la jambe manquante devient un argument de vente… ou mieux : un geste de haute vertu environnementale. Moins de tissu, donc moins de coton, donc moins d’eau, donc moins de CO₂. Une jambe en moins, pour une planète sauvée. Il ne manque plus qu’un label “climat positif” cousu à l’envers sur la poche arrière pour parfaire l’illusion. Parce qu’au fond, quoi de plus durable qu’un vêtement qui n’est même pas terminé ?

Et si tu as des doutes, pas de panique : des influenceuses se sont sacrifiées pour tester l’expérience. Verdict ? « Assez confortable, sauf aux toilettes ». Merci pour ce retour terrain, digne d’un reportage de guerre sur le front du bon goût.

Alors oui, Coperni a réussi un coup de maître. Transformer une escroquerie textile en succès viral. Et ce n’est même pas une critique : c’est presque un hommage à l’arnaque créative. Il fallait oser. Il fallait même oser facturer 350 euros une absence de tissu, la vendre comme une expérience stylistique, et réussir à faire croire qu’on tenait là le nouveau Saint Graal du casual chic. Un vêtement conceptuel, théoriquement prêt-à-penser, mais physiquement pas vraiment prêt-à-porter.

Et si on veut aller au bout du raisonnement, pourquoi ne pas vendre la deuxième jambe séparément ? En DLC. Édition collector. Et demain ? Peut-être une marque qui vend du vide… littéralement. Du vide premium, livré en sachet recyclable avec certificat d’authenticité.

La mode ne s’habille plus, elle se performe. Le style devient satire, et nous, consommateurs ébahis, défilons dans cette farce collective, en espérant que quelqu’un, quelque part, retrouve le patron du bon goût.

En attendant, marche droit. Même si tu es en manque de… jugeote. Et de tissu. Et peut-être d’un bon miroir.