Le syndrome du pare-brise Tesla

ou comment rater une vente à cause d’un profil Viadeo fossilisé et d’un silence numérique plus louche qu’un chat qui fait la vaisselle.

Il est 23h12.

Quelque part dans une cuisine mal éclairée, un être humain mâchouille des restes de chips directement dans le sachet, sa main droite scrollant sur un MacBook aussi poussiéreux que ses ambitions sportives. Il n’a ni temps ni patience. Il a un devis à valider demain. Une mission à confier. Il veut « voir si la personne est sérieuse ».

Et pour cela, il utilise l’arme la plus impitoyable jamais inventée par l’espèce humaine : Google.

Mais pas Google version « site web officiel ». Non. Google version archéologue digital du doute. Il tape : “Caroline Martin conseil IA Lyon”.

Et là, tout se joue. En 0,53 seconde. Un clic. Une impression. Un verdict.

Et vous, vous ne saurez jamais ce qu’il a vu. Pas avant qu’il vous ghoste mollement ou vous réponde “on a choisi quelqu’un d’un peu plus… aligné”. En attendant, le juge invisible de votre crédibilité numérique vient de rendre sa sentence.

Pendant ce temps, Caroline dort paisiblement. Elle a passé six mois à refaire son site, orchestré comme une symphonie en Figma majeur. Il est responsive, éco-conçu, ultra-optimisé SEO, et son formulaire de contact déclenche une cascade de micro-interactions qui feraient pleurer un UX designer norvégien.

Sa page “Notre Histoire” raconte avec émotion la rencontre improbable de “Jean & Claire, deux passionnés qui voulaient révolutionner le monde de la visserie inoxydable”. Une sorte de Roméo + boulonnerie. Mais cela, le prospect ne le verra jamais.

Parce que voici la loi absurde n°1 du commerce contemporain :

« Personne ne clique sur votre site si Google, lui, pense que vous êtes mort. »

Car à 23h12, votre site n’a aucun pouvoir.

Ce qui parle à votre place, c’est ce que vous avez oublié d’effacer ou jamais pensé à publier.

  • Un vieux profil Viadeo où vous vous disiez “stratège agile en dynamiques croisées”.
  • Une photo prise en séminaire où vous tenez un ukulélé au bord d’une piscine, visiblement trop confiant.
  • Une absence totale de contenu, si abyssale qu’on entendrait presque un écho.

Et dans le meilleur des cas ? Un article de blog écrit par un stagiaire en 2018, évoquant vaguement votre « approche disruptive de la cohérence managériale ». Ce qui, traduit en langage humain, ne veut strictement rien dire.

C’est ici qu’intervient la loi absurde n°2 :

« Si votre présence en ligne est trop propre, les gens penseront que vous cachez un truc. Comme les frigos de showroom ou les enfants trop polis. »

Et c’est que vient le moment « Tesla ».Ce moment où tout semble parfait, lisse, inspirant. Et puis, quelqu’un décide de jeter une brique de curiosité dessus.

Vous vous souvenez de la démonstration de Musk ? La fameuse voiture aux vitres incassables ? Et ce petit geste anodin : jeter une brique sur la vitre. Résultat : la vitre a explosé. En direct. C’est ça, le moment Google. Un bête clic. Et votre belle façade se fissure.

Parce que le prospect, lui, ne cherche pas votre perfection. Il cherche des traces. Des signes de vie. Des idées. Une voix. Même maladroite. Même un peu floue. Il veut savoir si vous existez en dehors du pitch.

En 2025, ce qui fait vendre, ce n’est pas votre landing page. Ni votre tarif. Ni votre charte graphique lavande.

Ce qui fait vendre, c’est la preuve discrète que vous êtes un être humain. Une publication bancale. Un commentaire pertinent. Une conférence mal filmée où vous dites “euh” toutes les 3 phrases, mais avec conviction.

Et voici la loi absurde n°3 (la plus importante) :

« Mieux vaut être bancal et visible, que parfait et introuvable. »

Parce qu’à la fin, votre prospect ne signe pas avec une entreprise. Il signe avec un reflet de vous. Un écho. Une intuition. Un petit truc irrationnel qui dit : “cette personne existe, je peux lui faire confiance, ou au moins lui parler sans devoir déchiffrer un pitch en novlangue”.

Alors non, vous n’avez pas besoin d’être viral. Ni parfait. Mais vous devez apparaître.

Dites quelque chose. Postez une pensée tordue. Un souvenir mal cadré. Même une photo de Jean-Michel, votre cactus de bureau qui penche vers la lumière avec la persévérance d’un stoïcien.

Parce qu’entre une vitrine parfaite et un humain légèrement névrosé, on choisira toujours l’humain. Surtout si le cactus a un prénom. Et une page LinkedIn.