Bienvenue dans l’ère du capitalisme vert fluo, où l’on peut effacer une centrale à charbon comme on supprime un historique de navigation gênant : en plantant trois ficus dans une zone tropicale vaguement géolocalisable.
C’est beau, c’est propre, c’est… “compensé carbone”.
Ahhh, la compensation carbone, c’est bien plus qu’une mesure environnementale, c’est une expérience holistique de réconciliation quantique avec la planète. Une sorte de pèlerinage spirituel où tu expies tes émissions de CO₂ en plantant symboliquement un arbre… enfin, en payant quelqu’un d’autre pour le planter, parce que faut pas pousser non plus.
Le principe est d’une élégance rare : tu détruis ici, tu régénères là-bas, et hop, tu passes de méchant pollueur à acteur engagé pour un futur durable. Et tout ça, sans rien changer à tes pratiques, et encore moins à tes marges.
En fait, c’est du développement durable… de ton business model.
Mieux encore, la magie de la novlangue transforme chaque excès en opportunité. On ne parle plus d’usine toxique, mais de “site industriel en transition écologique”. On ne dit pas qu’on déverse des tonnes de CO₂ dans l’atmosphère, on “alimente le cycle carbone global”. Et surtout, on ne se contente pas de compenser, on “valorise l’impact positif de notre empreinte planétaire”, comme si le trou dans la couche d’ozone était une nouvelle fenêtre sur le cosmos.
Et quand ces formules magiques se mettent en action, ça donne des chefs-d’œuvre de communication. Voici comment, avec un peu de créativité lexicale, l’absurde devient inspirant :
- Un datacenter énergivore en plein désert, refroidi à grands coups de climatiseurs XXL, mais qui a “neutralisé son empreinte” grâce à un partenariat mystérieux avec une ONG péruvienne dont le site web, propulsé par une IA low-cost, semble avoir été codé à la main par le stagiaire du gardien, sur un vieux PC portable qui surchauffe.
- Une imprimerie qui crache du papier comme un volcan en éruption, mais qui t’explique que chaque brochure pleine de vernis brillant est un acte de “reforestation responsable” d’une forêt entière de PowerPoint.
- Une marque de vêtements jetables qui “finance la biodiversité” en offrant trois fleurs à des abeilles lors d’un événement sponsorisé par une compagnie pétrolière.
Nous sommes des génies. De vrais orfèvres dans l’art de repeindre une marée noire en vert pastel.
Nous avons inventé l’empreinte morale compensée : tu peux commettre l’irrémissible, tant que tu offres à la planète un pot de basilic et un rapport RSE en PDF de 120 pages, truffé de photos de mains jointes autour d’un arbre. Et pas n’importe quel PDF, attention : éco-conçu, compressé pour réduire son poids numérique, hébergé sur un serveur “climatiquement conscient” et qui utilise une police de caractères eco-responsable.
Grâce à cette innovation éthique de rupture, une marée noire devient une “opportunité de revitalisation marine”, un chantier illégal dans une forêt protégée se transforme en “intervention anthropique de régénération productive”, et la destruction d’un écosystème fragile s’inscrit fièrement dans un programme “d’optimisation de la biodiversité locale”.
Notre vision est simple : dévaster aujourd’hui, compenser demain, communiquer toujours. Et pour garantir la traçabilité de notre vertu, mettre en place un Système d’Indexation Vertueuse (SIV) certifié par un Comité Indépendant de Validation Morale (CIVM), composé exclusivement de partenaires stratégiques… et de leur belle-mère pour la touche citoyenne.
Et c’est là que c’est magnifique : non seulement on ne résout rien, mais parfois on empire la situation. Transporter des plants à l’autre bout du monde dans des containers climatisés “à bilan énergétique optimisé”, utiliser des drones pour “ensemencer” des forêts en mode start-up, avec des graines “premium certifiées ISO 26000”, irriguer des zones qui n’avaient rien demandé au moyen de pompes fonctionnant au diesel “de transition”.
Et pendant que le kérosène se consume dans le ciel au nom de la neutralité carbone, on organise des “cérémonies de plantation collaborative” où trois ministres, deux influenceurs lifestyle et un acteur recyclé en ambassadeur éco-responsable posent pour Instagram, genoux dans la terre, sourire calibré, à côté d’un arbre qui mourra de soif dans six mois.
Un peu comme ces COPXX organisées à l’autre bout du monde pour “sauver la planète”, congrès de la dernière chance où l’on débat d’écologie de fin du monde en buvant du champagne, après avoir fait 12 heures de vol en classe business, avec escale dans un hub pétrolier. On repart rassuré : la planète est sauvée, il suffit de signer un communiqué… et de prévoir la prochaine COP à Hawaï.
Et tout ça, bien sûr, sans jamais remettre en cause la source du problème.
En clair : nous ne sauvons pas la planète, mais nous optimisons la perception que vous avez de notre rapport à la sauver.
Alors la prochaine fois qu’on te vend un produit “neutre en carbone”, rappelle-toi : ce n’est pas de la neutralité, c’est du maquillage. Et comme tout bon maquillage, ça finit par couler… mais pas avant la prochaine présentation aux actionnaires.