NOTE : Ce qui suit est un extrait de la réalité augmentée de l’entreprise moderne, filtrée à travers l’absurde, mais à peine. Ce texte est tiré de mon prochain livre, Kevin, Chief Bullshit Officer, une parodie de ce qui se joue (malheureusement) aujourd’hui dans nombre d’organisations, grandes ou petites, où le sens a été remplacé par du storytelling en motion design, et le réel par de la “vibration collective”.
Derrière l’humour, ce texte est aussi le reflet d’un phénomène bien plus inquiétant : la montée en puissance d’une doxa molle, un mélange indigeste de bullshit managérial, de wokisme aseptisé, de greenwashing bienveillant et de développement personnel hors-sol, qui impose peu à peu une pensée unique aux airs de sagesse universelle. Dans cet univers, poser une question critique, c’est “rompre l’harmonie vibratoire”. Douter, c’est “créer des dissonances cognitives dans le flux collectif”. Et ne pas applaudir la dernière initiative “régénérative et inclusive” de la direction, c’est risquer d’être considéré comme un empêcheur de pivoter en rond.
Kevin, lui, ne travaille pas. Il infuse. Il n’a pas d’objectifs, il a des intentions. Il ne dit rien de concret, mais tout le monde hoche la tête. Car aujourd’hui, plus c’est flou, plus c’est profond, et plus c’est creux, plus c’est respectable.
Bonne lecture, et bon courage si vous avez un Kevin dans votre open space ou si votre entreprise est en train de sombrer dans le bullshit-woke-écolo-complaisant.
Kevin n’a pas de poste. Il a une vocation vibratoire. Il n’exerce pas une fonction, il incarne une fréquence d’être. Son intitulé de rôle ne tient pas dans un organigramme. Il se murmure, se ressent, se projette dans l’invisible.
Car Kevin n’évolue pas dans une entreprise, mais dans un écosystème sensible d’intelligences inter-reliées, une matrice fluide de potentialités stratégiques et d’intuitions désintermédiées. Lui-même se définit comme un “catalyseur d’élans émergents dans des contextes de complexité douce”.
Il ne dirige rien. Il infuse. Il ne décide pas. Il inspire. Il ne fait pas avancer les projets. Il les accompagne énergétiquement vers leur accomplissement symbolique.
Bienvenue dans le quotidien éthérico-corporate de Kevin, Chief Bullshit Officer.
07h42 – Émergence consciente
Kevin ne se lève pas. Il émerge dans sa verticalité d’être, porté par la synergie quantique de son sommeil paradoxal. Sa montre connectée (mode intuition augmentée) ne le réveille pas, elle l’invite à entrer dans sa fréquence du jour.
Il entame son rituel sacré :
- Respiration empathique
- Cohérence cardiaque en onde alpha
- Ancrage vibratoire par lecture silencieuse de son propre pitch missionnel
Son infusion du matin ?
Une décoction tiède de racines adaptogènes issues d’une forêt régénérative labellisée “biodynamique consciente”, filtrée à l’eau de source informée par cristallisation holistique, puis vortexée manuellement selon le protocole tibéto-scandinave. Il ne boit pas. Il s’harmonise.
09h00 – Sync holistique avec l’équipe projet (en co-présence asynchrone)
Kevin entre en visio avec une légère latence vibratoire, parfaitement assumée. C’est du slow onboarding sensoriel. Caméra floutée (filtre présence subtile), posture ouverte, ton feutré, il entame la réunion par un silence signifiant, suivi d’un regard vague vers l’horizon de son écran :
“Je vous propose qu’on accueille cet espace-temps comme un moment d’alignement circulaire, pour recharger ensemble notre champ de coopération narrative.”
Il ne parle pas de livrables. Il évoque des pulsations collectives d’intention. Il ne valide aucun point. Il “coconstruise une cartographie émotionnelle des tensions émergentes”.
À chaque intervention, il hoche doucement la tête, comme s’il traduisait intérieurement le sens profond de ce qui vient d’être dit… même quand il ne l’a pas écouté. Et pour relancer le fil, il n’hésite pas à poser une question d’une puissance désarmante :
“Est-ce qu’on est encore dans le ‘faire’, ou déjà dans l’élan d’un nouveau ‘être’ ?”
Il quitte la réunion 11 minutes avant la fin — par cohérence énergétique. Mais avant cela, il laisse ce qu’il appelle un germe de réflexion, déposé dans le chat sous forme de haïku désaligné :
“Quand le sens s’efface, le cadre devient passage, flux de co-reliance.”
Silence dans la salle. L’équipe note. Personne n’a compris. Mais tout le monde a ressenti. Et Kevin, lui, s’est élevé.
10h17 – Phase d’infusion intuitive en autonomie ritualisée
Kevin entre dans un état de présence latente auto-facilitée, installé en posture semi-réceptive sur un pouf éco-sensoriel en fibres de chanvre régénératif. Il ne s’isole pas : il s’extrait temporairement de la dynamique productiviste pour mieux ressentir les flux invisibles de l’intelligence collective.
Casque anti-bruit (modèle DeepFlow), playlist “Alpha States & Semantic Drift”, respiration libre : il atteint un état de divagation stratégique maîtrisée, où le silence devient matière première du sens.
Il ne réfléchit pas. Il laisse advenir les idées comme des entités fluides cherchant un port d’ancrage sémantique.
Dans son carnet Moleskine (édition Executive Introspection), il note sans y penser trois mots qu’il appelle ses balises heuristiques du jour :
“Fracture. Interstice. Frugalité.” Est-ce un début de roadmap, une œuvre conceptuelle ou un signal faible du cosmos ? Kevin ne tranche pas. Il accueille.
Et s’il ferme les yeux, ce n’est pas pour dormir. C’est pour s’immerger pleinement dans l’indécision fertile de l’instant, là où le flou devient ressource et le vide, promesse.
Et s’il ronfle ce n’est pas un endormissement. C’est une manifestation sonore de son lâcher-prise profond, une vibration inconsciente de son infrapensée stratégique. Un chant de l’alignement cellulaire. Un souffle d’âme, en basse fréquence.
12h00 – Pause délibérative en tiers-lieu régénératif
Kevin ne déjeune pas. Il honore une expérience gustative intentionnelle, dans un tiers-lieu régénératif à haute densité symbolique, où le mobilier a été co-designé par une coopérative d’artisans neuro-sensibles en insertion holistique.
Le menu est pensé pour nourrir à la fois le microbiote et la clarté décisionnelle : – Bol nourricier d’inspiration chamanico-scandinave, – Légumineuses anciennes réhydratées à l’eau de pluie filtrée par gravité douce, – Topping de graines activées, – Et, en boisson, une eau de bouleau infusée à la lune montante, servie tiède pour respecter le cycle digestif du foie stratégique.
Entre deux bouchées, il partage sur le Slack de l’entreprise une photo floue de son bol, sous-titrée :
“Ingestion consciente. Connexion profonde. #LeadershipDigeste”
S’il mange lentement, c’est pour laisser au sens le temps de mariner. Et si parfois il mâche dans le vide, c’est pour goûter aux non-dits du collectif.
17h10 – Entretien stratégique à faible intensité décisionnelle
Convoqué en urgence douce par son DG, Kevin pénètre dans l’espace de gouvernance à haute fréquence vibratoire, récemment repensé par un collectif pluridisciplinaire mêlant designers sensoriels et philosophes en résidence. Canapés asymétriques, lumière biodynamique, encens discret aux notes de cèdre responsable.
Le DG, légèrement pâle, droit dans ses convictions encore linéaires, attaque frontalement :
“Kevin… au fond, très concrètement… à quoi vous servez, exactement ?”
Il inspire longuement par le nez, retient l’air comme on retient une intuition, puis expire lentement par le chakra du plexus. Ses yeux mi-clos semblent consulter un espace de données plus vaste que la pièce. Puis, avec une lenteur sacrée, il murmure :
“Je suis ici pour réguler un niveau de désalignement conscientisable dans notre trame organisationnelle. Ma fonction n’est pas de résoudre, mais d’accompagner la maturation des paradoxes. Je veille à la porosité des récits systémiques, à l’écoute des tensions fécondes.”
Il fait une pause. Fixe un point flou au plafond. Puis poursuit, comme en transe légère :
“Je ne livre rien. J’opère. Je ne cadre pas. J’ouvre les espaces. Je ne réduis pas les marges d’erreur. Je les honore comme des zones d’exploration stratégique. Mon périmètre, c’est l’interstice silencieux entre deux intentions contradictoires.”
Enfin, il appose calmement sa phrase-signature, sans la ponctuer, comme une offrande :
“Être dans l’être du faire”
Silence.
Le DG le regarde, hébété. Son PowerPoint intérieur vient de planter. Ses repères rationnels fondent comme un camembert oublié sur un radiateur à inertie. Il ne sait plus s’il est au travail, en séminaire de yoga ou dans un rêve où la performance a un goût de lavande.
Kevin, quant à lui, se lève avec lenteur. Dépose un galet noir sur la table. Et s’en va, sans bruit.
19h03 – Déconnexion choisie, mais partageable
Kevin ne quitte pas son poste. Il se désengage intentionnellement de la sphère opérationnelle, dans un geste lent et symbolique, pensé comme un acte de sobriété attentionnelle.
Son ordinateur ne s’éteint pas. Il expire doucement, dans un mode veille rituelle, après une ultime sauvegarde de ses vibrations productives sur un cloud souverain éthique. Kevin referme son Mac avec la solennité d’un moine refermant un manuscrit en vélin : deux doigts, souffle bloqué, regard vers l’intérieur.
Avant de partir, il vaporise autour de lui une brume d’huiles essentielles “calibrée pour les fins de cycle” : encens, lavande et touche de patchouli cognitif. Le tout certifié “zéro jugement intérieur”.
Il enfile ensuite son hoodie “Embody the Flow”, attrape son tote bag en lin recyclé floqué Think Less, Breathe Deeper, et se dirige vers la sortie. Dans l’ascenseur, il prend une photo de son reflet légèrement flou, et publie instantanément sur LinkedIn :
“Savoir partir, c’est aussi laisser l’espace se re-remplir de possibles. À demain, mais autrement. #Deceleration #PresenceÉthique #LeadershipRéversible”
Et tandis que ses collègues attendent leur tram, lessivés, Kevin marche pieds nus dans la pensée, au rythme de ses playlists binaurales, prêt à recommencer demain à ne rien faire… avec beaucoup de profondeur, et surtout, avec la conviction intime d’avoir profondément contribué au bien-être émotionnel de l’écosystème humain qui l’entoure.
21h12 – Auto-citation LinkedIn en pleine conscience
Post LinkedIn :
“J’ai longtemps cru que je devais faire. Aujourd’hui, je me contente d’être. Et c’est suffisant pour transformer.” #SouverainetéIntérieure #LeadershipInvisible #ChiefBullshitOfficer